En écriture, l’une des meilleures sources d’inspiration
reste, pour écrire un texte à partir du
thème de son choix, d’avoir recours aux impressions sensorielles rattachées à
nos cinq sens. Celles-ci nous permettront d’accéder à une perception plus
concrète, plus tangible et variée des réalités qu’on désire évoquer ou
représenter.
En particulier, lorsqu’on désire aborder un thème plutôt
abstrait, il convient de se rappeler que cette réalité ou phénomène : la
guerre, l’amour, l’impatience, la joie, n’est souvent pas perceptible
directement. Nous n’avons en général accès, dans la vie de tous les jours, qu’à
leurs manifestations tangibles, qu’aux symptômes rattachés à ces abstractions,
concepts, idées, attitudes ou émotions.
Ainsi, l’impatience ne peut pas être directement observée.
Mais il est possible de percevoir l’occurrence de gestes, mouvements, paroles
et autres manifestations, objets ou signes concrets rattachés à cette réalité
intérieure au personnage. Une voie d’accès efficace à ces traits caractéristiques,
emblématiques de l’état d’esprit qu’on souhaite ici laisser entrevoir, demeure
de se demander : que puis-je voir, entendre, sentir, goûter, toucher de
cette réalité, phénomène, émotion ou attitude ?
Usant de cette approche, on tentera de noter les impressions
sensorielles les plus concrètes possibles qui nous viennent à l’esprit lorsqu’on
se pose ces questions-là.
Revenant à l’idée de représenter l’impatience, par exemple chez un
individu affecté par cet état d’esprit lorsqu’il se rend au travail en auto par
une voie achalandée, nous pourrions notamment observer les symptômes recensés ci-dessous.
Nous pourrions voir :
Cet individu au volant de son auto, coincé dans un bouchon
de circulation, qui tapote nerveusement son volant, change souvent de station
de radio, replace à répétition une mèche de cheveux, regarde frénétiquement autour de lui si la route se dégage, si les
autres véhicules progressent, etc.
Nous pourrions entendre :
Ses soupirs, mais aussi les injures qu’il profère au sujet du
gouvernement "qui n’entretient pas assez bien les routes…" à l’endroit des autres
automobilistes "qui ne savent pas conduire…" à l’égard de telle ou telle personne
"qui lui a fait prendre du retard, ce matin...", etc. Il peut aussi protester que "c’est
toujours comme ça, le vendredi"…
Nous pourrions sentir :
L’odeur de sa transpiration qui remplit l’habitacle du
véhicule, celle de la cigarette que le conducteur vient d’allumer, celle des
vapeurs émises par ce groupe d’autos statiques dont le moteur tourne, etc.
Nous pourrions goûter :
La saveur de menthe du chewing-gum mâchouillé nerveusement
par l’automobiliste. La gorgée de café froid ou de boisson gazeuse
tiède qu’avale de travers ce conducteur indisposé, etc.
Nous pourrions toucher :
Le cuir brûlant du tableau de bord chauffé par le soleil. La
sueur qui dégouline de la tempe du conducteur. La barre de chocolat fondue qui tache
la main pendant qu’on fouille rapidement à la recherche de cigarettes, dans un
coffre à gants rempli de vieux papiers coupants et de tout un bric-à-brac :
clés, tournevis, bouteille miniature de rince bouche, cartes routières aux
coins usés, papiers d’immatriculation dans un étui en vinyle bon marché, etc.
Comme nous l’observons, les manifestations d’impatience que nous trouvons en se posant ces questions se révèlent on ne peut
plus concrètes et faciles à employer pour représenter avec précision ce genre
de situation, dans un texte. Bien entendu, ces symptômes d’impatience pourraient
adopter une forme assez distincte si la situation dépeinte était différente. Quoi qu'il en soit,
cet exercice permet normalement de donner une forme beaucoup plus nette et tangible
à une idée abstraite : ici, le sentiment d’impatience ressenti lorsqu’on est pris
dans un embouteillage, et qu’on est sans doute déjà en retard pour se rendre au
bureau.
Une fois récoltées ces images sensorielles, nous aurons beau
jeu d’employer les plus éloquentes d’entre elles pour dépeindre la situation de
ce personnage : nous avons maintenant en main une matière première féconde
et variée pour écrire sur ce sujet. Les images ainsi rassemblées nous seront fort
utiles, et simplifieront notre effort de rédaction d’une telle scène, puisque ces
différentes impressions sensorielles ont de bonnes chances de stimuler notre inspiration.
En plus, elles risquent fort de rendre plus fluide la rédaction d’un premier jet qui tablerait périodiquement sur ces
idées-là, le employant comme autant de tremplins pour se relancer, plutôt que d’avoir, à la place, à
freiner son élan parce qu'on tente de débusquer ces images sensorielles au
fur et à mesure qu’on écrit.
Soulignons que ces perceptions visuelles, sonores, olfactives, gustatives
et tactiles nous aideront non seulement à offrir un portrait plus éloquent et clair
des circonstances à évoquer ; elles contribueront aussi à faire
visualiser ce contexte au lecteur ou au spectateur avec beaucoup de plus de netteté, et
stimuleront vivement son imagination.
Si l’on considère que les gens à qui s’adresse notre texte
découvrent toujours, comme nous, le monde à travers leurs cinq sens, et qu’on
prend également en considération le fait que les impressions sensorielles demeurent
très liées à la mémoire et à l’émotion, il est évident que ce genre de
stratégie nous permettra d’exercer un impact manifeste sur la sensibilité de
nos lecteurs.
La récolte d’impressions sensorielles « emblématiques »
d’un thème donné présente ainsi pour l’auteur des avantages indéniables. Nous
aurons donc souvent avantage à tabler sur cette technique lorsqu’il est question de décrire
les comportements associés à un état d’esprit donné, dans les indications de
mise en scène d’une pièce ou d’un scénario, de façon à traduire en des termes
visuels l’intériorité du personnage en question. De cette manière, seront
du même coup fournies à l’acteur de nombreuses pistes l'aidant à réaliser une
incarnation tangible, subtile et nuancée de son rôle.
Enfin, il va sans dire que cette approche sera tout
aussi utile lorsqu’on cherche à décrire les désagréments d’un conducteur impatient,
dans le cadre d’une nouvelle ou d’un roman où notre protagoniste se retrouverait
momentanément plongé dans ce genre de situation... à laquelle quiconque peut s’identifier !
© 2013, Martin
Mercier / Éditions Figura
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