samedi 29 juin 2013

Le recours aux impressions sensorielles pour s’inspirer


En écriture, l’une des meilleures sources d’inspiration reste, pour écrire un texte à partir du thème de son choix, d’avoir recours aux impressions sensorielles rattachées à nos cinq sens. Celles-ci nous permettront d’accéder à une perception plus concrète, plus tangible et variée des réalités qu’on désire évoquer ou représenter.

En particulier, lorsqu’on désire aborder un thème plutôt abstrait, il convient de se rappeler que cette réalité ou phénomène : la guerre, l’amour, l’impatience, la joie, n’est souvent pas perceptible directement. Nous n’avons en général accès, dans la vie de tous les jours, qu’à leurs manifestations tangibles, qu’aux symptômes rattachés à ces abstractions, concepts, idées, attitudes ou émotions.

Ainsi, l’impatience ne peut pas être directement observée. Mais il est possible de percevoir l’occurrence de gestes, mouvements, paroles et autres manifestations, objets ou signes concrets rattachés à cette réalité intérieure au personnage. Une voie d’accès efficace à ces traits caractéristiques, emblématiques de l’état d’esprit qu’on souhaite ici laisser entrevoir, demeure de se demander : que puis-je voir, entendre, sentir, goûter, toucher de cette réalité, phénomène, émotion ou attitude ?

Usant de cette approche, on tentera de noter les impressions sensorielles les plus concrètes possibles qui nous viennent à l’esprit lorsqu’on se pose ces questions-là.

Revenant à l’idée de représenter l’impatience, par exemple chez un individu affecté par cet état d’esprit lorsqu’il se rend au travail en auto par une voie achalandée, nous pourrions notamment observer les symptômes recensés ci-dessous.

Nous pourrions voir :

Cet individu au volant de son auto, coincé dans un bouchon de circulation, qui tapote nerveusement son volant, change souvent de station de radio, replace à répétition une mèche de cheveux, regarde frénétiquement autour de lui si la route se dégage, si les autres véhicules progressent, etc.

Nous pourrions entendre :

Ses soupirs, mais aussi les injures qu’il profère au sujet du gouvernement "qui n’entretient pas assez bien les routes…" à l’endroit des autres automobilistes "qui ne savent pas conduire…" à l’égard de telle ou telle personne "qui lui a fait prendre du retard, ce matin...", etc. Il peut aussi protester que "c’est toujours comme ça, le vendredi"…

Nous pourrions sentir :

L’odeur de sa transpiration qui remplit l’habitacle du véhicule, celle de la cigarette que le conducteur vient d’allumer, celle des vapeurs émises par ce groupe d’autos statiques dont le moteur tourne, etc.

Nous pourrions goûter :

La saveur de menthe du chewing-gum mâchouillé nerveusement par l’automobiliste. La gorgée de café froid ou de boisson gazeuse tiède qu’avale de travers ce conducteur indisposé, etc.

Nous pourrions toucher :

Le cuir brûlant du tableau de bord chauffé par le soleil. La sueur qui dégouline de la tempe du conducteur. La barre de chocolat fondue qui tache la main pendant qu’on fouille rapidement à la recherche de cigarettes, dans un coffre à gants rempli de vieux papiers coupants et de tout un bric-à-brac : clés, tournevis, bouteille miniature de rince bouche, cartes routières aux coins usés, papiers d’immatriculation dans un étui en vinyle bon marché, etc.

Comme nous l’observons, les manifestations d’impatience que nous trouvons en se posant ces questions se révèlent on ne peut plus concrètes et faciles à employer pour représenter avec précision ce genre de situation, dans un texte. Bien entendu, ces symptômes d’impatience pourraient adopter une forme assez distincte si la situation dépeinte était différente. Quoi qu'il en soit, cet exercice permet normalement de donner une forme beaucoup plus nette et tangible à une idée abstraite : ici, le sentiment d’impatience ressenti lorsqu’on est pris dans un embouteillage, et qu’on est sans doute déjà en retard pour se rendre au bureau.

Une fois récoltées ces images sensorielles, nous aurons beau jeu d’employer les plus éloquentes d’entre elles pour dépeindre la situation de ce personnage : nous avons maintenant en main une matière première féconde et variée pour écrire sur ce sujet. Les images ainsi rassemblées nous seront fort utiles, et simplifieront notre effort de rédaction d’une telle scène, puisque ces différentes impressions sensorielles ont de bonnes chances de stimuler notre inspiration. En plus, elles risquent fort de rendre plus fluide la rédaction d’un premier jet qui tablerait périodiquement sur ces idées-là, le employant comme autant de tremplins pour se relancer, plutôt que d’avoir, à la place, à freiner son élan parce qu'on tente de débusquer ces images sensorielles au fur et à mesure qu’on écrit.

Soulignons que ces perceptions visuelles, sonores, olfactives, gustatives et tactiles nous aideront non seulement à offrir un portrait plus éloquent et clair des circonstances à évoquer ; elles contribueront aussi à faire visualiser ce contexte au lecteur ou au spectateur avec beaucoup de plus de netteté, et stimuleront vivement son imagination.

Si l’on considère que les gens à qui s’adresse notre texte découvrent toujours, comme nous, le monde à travers leurs cinq sens, et qu’on prend également en considération le fait que les impressions sensorielles demeurent très liées à la mémoire et à l’émotion, il est évident que ce genre de stratégie nous permettra d’exercer un impact manifeste sur la sensibilité de nos lecteurs.

La récolte d’impressions sensorielles « emblématiques » d’un thème donné présente ainsi pour l’auteur des avantages indéniables. Nous aurons donc souvent avantage à tabler sur cette technique lorsqu’il est question de décrire les comportements associés à un état d’esprit donné, dans les indications de mise en scène d’une pièce ou d’un scénario, de façon à traduire en des termes visuels l’intériorité du personnage en question. De cette manière, seront du même coup fournies à l’acteur de nombreuses pistes l'aidant à réaliser une incarnation tangible, subtile et nuancée de son rôle.

Enfin, il va sans dire que cette approche sera tout aussi utile lorsqu’on cherche à décrire les désagréments d’un conducteur impatient, dans le cadre d’une nouvelle ou d’un roman où notre protagoniste se retrouverait momentanément plongé dans ce genre de situation... à laquelle quiconque peut s’identifier !


© 2013, Martin Mercier / Éditions Figura

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